Ce roman en vers est la chronique d'un séjour au pays des morts, sur les modèles de Virgile et de Dante, un voyage intime et sensible à travers un tissu d'oeuvres picturales et littéraires. Mais toute quête des origines n'est que vanité destinée à la satisfaction des vivants. Il faut savoir laisser les morts tranquilles...
L'enfant a cinq ans quand on lui annonce la mort de sa grand-mère. Tout ce qui précède ce premier deuil semble effacé de sa mémoire jusqu'à ce que, devenu jeune homme, il traverse lui-même une maladie grave. Tandis qu'il relit un jour des écrits de Thérèse de Lisieux, se révèle à lui « un coin inconnu de sa grande volière intérieure ». Et c'est dans un dialogue avec la sainte qu'il rassemble les traces du passé : ces émotions enfouies et questions sans réponses, ce délaissement où l'on se croit et que personne ne vient apaiser, ce si humain qui disparaît plus vite que les chairs.
« Écoute, le sol se dérobe, les mots dérapent ; partout, nos appuis s'érodent. Nous vivons « au-dessus » du monde, dans des bulles d'histoires ; ce que nous voyons, au loin, depuis cette hauteur, c'est une Terre abîmée, épuisée. Nous entrons dans un temps vertigineux. Et moi, figure-toi, avec les livres qui m'ont accompagné, j'ai voulu saisir les formes de ce vertige. Comprendre cette guerre, ce combat, et cette blessure, entre les langages humains et les autres formes de la vie... » C.T.
« Il y a des familles où l'on transmet le plaisir d'apprendre. D'autres où c'est le pouvoir, la puissance et l'orgueil. Des familles d'argent, des familles de musées, des familles d'églises. Des familles, des croyances, des certitudes et des cultures. Et puis il y a des familles où l'on apprend à mourir. C'est aussi fort qu'autre chose, le désir de mourir, et cela se transmet très bien.» La mère de Mia avait tout pour être heureuse. Elle s'est pourtant suicidée. Comme elle, dans sa famille riche et respectable, Mia aurait dû connaître une enfance et une adolescence protégées. Pourtant, Mia est une survivante. Il lui faudra des années pour comprendre que l'inceste imposé par son frère était un crime. La différence entre tant de témoignages, même poignants, et ce roman unique en son genre, c'est l'écriture. Pour dire l'indicible, Emma Marsantes s'invente une langue, crée ses propres mots, et fait entendre au lecteur comment, dans la suffocation et l'effroi, mais aussi parfois dans un rire libérateur, peut naître enfin la vérité.
Si on veut, c'est Marseille et on l'appelle Mahashima. Legudo, ce sont les Goudes. Et Manosque se dit anosaka. Les collines, en tout cas, n'ont pas beaucoup changé. À Mahashima, longtemps capitale d'un royaume sans importance, Ryoshu mesure son bonheur de vivre heureux dans une ville heureuse. Un matin, il se met tout de même en marche pour aller revoir, non loin, les paysages de son enfance. En suivant le rivage, en gravissant les collines, il se remémore la période de troubles qui a marqué sa jeunesse, puis ce caprice du pouvoir à l'origine de la plus belle saison qu'on ait connue : le déplacement de la capitale, quand Mahashima fut subitement abandonnée par les puissants. L'histoire a peut-être lieu dans le futur, mais on y voit des pans entiers de notre époque, des clans guerriers, comme dans le Japon médiéval, et une lumière qu'on avait oubliée. C'est un monde renversé sans violence, ou presque, et qui retrouve son équilibre en ayant renoncé à durer toujours.
Dans le café de ce petit bourg où Jean-Luc et Jean-Claude ont la permission, tous les jeudis, de venir boire un verre (sans alcool), les choses prennent ce jour un tour inhabituel. D'abord, il y a ce jeune gars aux cheveux si blonds, il émerveille les deux amis parce qu'il vient d'Abbeville. Et puis demain c'est vendredi, le jour des soins redoutés par Jean-Luc qui sent en lui quelque chose gronder. Peut-être un écho de la tempête qui vient de balayer tout le canton, mettant en danger les phoques de la baie et pour lesquels Jean-Claude se fait tant de souci. Il suffira d'un rien, un billet de loto qu'on refuse de valider à Jean-Claude, pour que tout se dérègle. Un premier roman plein de tendresse et d'humour où les imaginaires de chacun se heurtent à la férocité banale du réel.
L'intrigue de ce livre commence le 1er janvier 1981 et s'achève le 31 décembre de la même année. Quarante ans après, le narrateur se remémore sa vie d'étudiant cette année-là, ses relations amoureuses hésitantes -dont celle qui lui fit vivre la douche écossaise d'un grand amour - mais aussi les remous causés par l'élection de François Mitterrand. Écrit d'une plume allègre, ce roman entremêle plongées dans la mémoire du narrateur et relectures des grands mythes antiques, et dessine par petites touches son thème profond : la construction du récit de soi, constitué d'un bric-à-brac de légendes et de souvenirs, tous plus fallacieux, comiques ou dérisoires les uns que les autres. Qui sommes-nous ? Que savons-nous de nous, en dehors de la fable que nous nous racontons ? Est-il possible de se rencontrer hors des illusions du langage ?
Quelque part en Amérique du Sud, un pèlerinage en terrain équatorial. Chacun a son voeu, griffonné sur un bout de papier, et va cheminer sur des kilomètres jusqu'au terme de la procession où se campe une madone miraculeuse. Ils sont des milliers. La longue route de dévotion est parcourue d'une corde que l'on doit tenir d'une main sans jamais lâcher. Tomber, perdre la corde, s'en dessaisir ne serait-ce qu'une fraction de seconde, c'est voir son voeu brisé, remis d'un an. Deux étudiantes, Andrea et sa soeur Ezia, vont se mêler au ruban des pèlerins, prendre la corde, être des grandes bousculades. L'écriture baroque et intense de Michel Jullien nous porte, par une suite de plans larges et rapprochés, au coeur même de cette procession, dont il s'inspire librement, dans une espèce d'exotisme à rebours où se mélangent l'humour et la brutalité, l'outrance des foules et la tendresse qu'il nourrit pour ses deux personnages.
Laetitia est née trois minutes avant sa soeur jumelle Margaux et trente-sept minutes avant l'explosion de Tchernobyl. Malgré des études dans une grande école de commerce, elle grenouille au Snowhall de Thermes-les-Bains, au désespoir de ses parents. Elle vit à La Cave où elle écoute Nick Cave, obsédée par les SUV et la catastrophe climatique en cours. Il faut dire que Laetitia vit en Lorraine où l'État, n'ayant désormais plus de colonies à saccager, a décidé d'enfouir tous les déchets radioactifs de France. Alors avec sa bande, Taupe, Fauteur, Thelma, Dédé, elle mène une première action spectaculaire qui n'est qu'un préambule au grand incendie final. Dans ce premier roman haletant où l'oralité tient lieu de ponctuation, Hélène Laurain, née à Metz en 1988, nous immerge au coeur incandescent des activismes contemporains.
D'oncle raconte l'histoire d'un oncle. D'un homme-limite jamais grandi, coincé depuis cinquante ans quelque part en enfance et au bord de la mer, au bout du monde. À la faveur de circonstances exceptionnelles, la narratrice est amenée à observer de près cet homme à l'hygiène douteuse, aux manies bizarres, à la santé défaillante, aux proportions anormales, définitivement trop petit, trop gros et trop boiteux pour ce monde. En filigrane, c'est le portrait d'une famille et d'une époque qui se dessine. Biscornues comme toutes les familles et toutes les époques. Ou disons un peu plus.
Syrie. Un vieil homme rame à bord d'une barque, seul au milieu d'une immense étendue d'eau. En dessous de lui, sa maison d'enfance, engloutie par le lac el-Assad, né de la construction du barrage de Tabqa, en 1973. Fermant les yeux sur la guerre qui gronde, muni d'un masque et d'un tuba, il plonge - et c'est sa vie entière qu'il revoit, ses enfants au temps où ils n'étaient pas encore partis se battre, Sarah, sa femme folle amoureuse de poésie, la prison, son premier amour, sa soif de liberté.
Entamés au seuil de la trentaine, les Carnets couvrent quarante années d'une sorte de vie. Avec le cinquième, on se retrouve, on ne sait trop comment, septuagénaire, à peu près quitte des soins qui ont rempli l'intervalle, excepté celui, cher à Montaigne, d'apprendre à mourir.
Pendant plus de cent ans, dans la vallée de l'Orbiel, au nord de Carcassonne, les hommes ont extrait l'or des entrailles de la terre. Et le poison qui va avec : l'arsenic, que l'eau et la terre fixèrent en d'infinies quantités. Les familles que nous suivons ici, entre l'écho des grandes guerres et les luttes ouvrières, la Résistance et l'abandon, rassemblent les vaincus d'une histoire qui les a dépassés. Mais voilà qu'un crime vient rappeler à tous que la peine des hommes est immense pour le mal qu'ils se font à eux-mêmes.
Zakaria vient quand il veut, et s'en va à sa guise. C'est l'amant imprévisible, mais qui apporte quelque chose d'unique. Pas tout à fait l'amour et pas seulement le sexe. La rencontre d'un soir est peu à peu devenue une liaison qui se cache mais qui dure. Jusqu'à ce que l'interdit religieux et les fantômes s'en mêlent. Et que la complicité se grippe. Quelle relation inventer alors pour ne pas tout perdre??
Comme certains romans d'humeur libertine, ne s'interdisant ni l'érotisme, ni les fantaisies de l'imagination, ni l'humour, celui-ci prend parfois des allures spéculatives. Dans cette vie extraordinaire d'une auto, conte philosophique et de science-fiction, c'est surtout de l'humain qu'il s'agit, face à certaines interrogations de notre époque.
Rien ne destinait mon grand-père à se survivre. Blessé dans les tranchées en 1918, il est mort cinquante-cinq ans plus tard sans rien laisser derrière lui si ce n'est une présence énigmatique au travers d'appels intermittents et ténus que je tente ici de saisir dans leur innocente nudité, leur supposée insignifiance.
En 2012, Thésée quitte "la ville de l'Ouest" et part vers une vie nouvelle pour fuir le souvenir des siens. Il emporte trois cartons d'archives, laisse tout en vrac et s'embarque dans le dernier train de nuit vers l'Est avec ses enfants. Il va, croit-il, vers la lumière, vers une réinvention. Mais très vite, le passé le rattrape. Thésée s'obstine. Il refuse, en moderne, l'enquête à laquelle son corps le contraint, jusqu'à finalement rouvrir "les fenêtres du temps"...
«?Le hasard m'avait fait naître sur un morceau de territoire dont l'histoire pouvait s'inscrire entre deux dates, comme sur une tombe?: 1830?-1962. Tel un corps, l'Algérie française était née, avait vécu, était morte. Le hasard m'avait fait naître sur les hauteurs de la Ville Blanche, dans une rue au joli nom?: rue des Bananiers. Dans la douceur de sa lumière, j'avais appris les jeux et les rires, j'avais appris les différences, j'avais aimé l'école Au Soleil et le cinéma en matinée, j'avais découvert l'amitié et cultivé le goût du bonheur.?» En remontant le cours d'une histoire familiale sur quatre générations, Béatrice Commengé entremêle subtilement la mémoire d'une enfance et l'histoire de l'Algérie française. Au plus près de l'esprit des lieux, elle parvient à donner un relief singulier au récit de cet épisode toujours si présent de notre passé.
Pour pouvoir vivre, la narratrice de Permafrost n'a eu d'autre choix que de se protéger des femmes auprès desquelles elle a grandi, de leurs obsessions navrantes, du cortège de mensonges et de sourires destinés à sauver l'idée de l'épouse comblée et de la mère épanouie. Mais, derrière l'épaisse cuirasse qu'elle a dû se fabriquer, ne se retrouve-t-elle pas prise comme dans une terre gelée, enfermée avec ses pensées suicidaires?? Heureusement il y a les chambres, celles où elle se réfugie dans la lecture passionnée d'autres vies, et celles où elle découvre le corps et les caresses d'amantes fabuleuses. S'isoler, s'adonner au plaisir, ne suffit cependant pas?: pour se libérer, il faut ce récit, écrit comme l'on se parle à soi-même, sans détour. Un corps avec ses sensations, une voix avec ses réminiscences, ses craintes et ses limites, pour enfin se sentir «?vivante, vivante comme jamais?».
« Car nous sommes dans un temps où les vents soulevés charrient de la poussière des confins du désert, car nous sommes dans des villes où nos pas hésitants arpentent nos faillites, détaillent nos abandons, où nos regards brouillés par le sable d'Afrique semé par les grands vents ne discernent plus rien du chemin à tracer, des directions à prendre, car nous sommes en passe de devenir fantômes, frères de déréliction de ceux à qui hier nous tendions des aumônes, fantômes vivants pourtant, tributaires de nos tripes, de nos muscles, de nos désirs éteints, nos regrets murmurés, suspendus aux rumeurs nous n'avons plus de lieux où poser nos fardeaux. » Mathieu Riboulet. « Compagnies de Mathieu Riboulet » accompagne la publication posthume du dernier livre de celui-ci, Les Portes de Thèbes, Éclats de l'année deux mille quinze, d'un ensemble de textes d'écrivains particulièrement sensibles à son oeuvre.
«Personne ne sait comment le désert est entré dans la ville.» Ainsi commence «Luoes», la première des huit nouvelles de ce recueil?; «Luoes», anagramme de Séoul. Une anagramme qui révèle l'étrangeté qui habite ce livre polyphonique. L'une décide de refuser le vacarme du monde, l'autre urine «pour éteindre le feu qu'il y a au-dehors, en ville», l'un décide de fuguer, mais ne sait, à son retour, s'il n'a pas tout simplement rêvé, un autre vit dans une tour abandonnée et se nourrit des déchets de la ville. Ici, chacun - à moins que cela ne soit la même personne, au-delà des apparences - semble vivre en exil, entre l'enfance et l'âge adulte, incapable de communiquer avec le monde et les êtres qui l'entourent, et s'en remet à une perception exacerbée des images, des sons, des odeurs pour tenter d'échapper à un devenir fantomatique.
«Je consigne ici la crainte récurrente qui me prend à la gorge: que l'insignifiant drame que constitue, pour moi seul ou presque, l'horizon de ma mort, ici chanté en contrepoint des tragédies tressées qui embrasent le monde où je me suis inscrit, n'incite à la méprise, au vieux soupçon d'orgueil; car en effet qui suis-je pour poser mon parcours en poids équivalent aux désordres mortels qui broient tant de mes frères? car qui suis-je en effet pour oser célébrer ces deux naufrages muets en langue densifiée? C'est que, tout simplement, je ne me résous pas à finir en laideur, autant aurait valu disparaître plus tôt, bien plus tôt, aux jours sombres où pointe la conscience des choses.» Mathieu Riboulet
Écrites au cours des quarante dernières années, les soixante-dix-sept nouvelles qui composent Le Roman noir de l'Histoire retracent, par la fiction documentée, les soubresauts de plus d'un siècle et demi d'histoire contemporaine française. Classées dans l'ordre chronologique de l'action, de 1855 à 2030, elles décrivent une trajectoire singulière prenant naissance sur l'île anglo-normande d'exil d'un poète, pour s'achever sur une orbite interstellaire encombrée des déchets de la conquête spatiale. Les onze chapitres qui rythment le recueil épousent les grands mouvements du temps, les utopies de la Commune, le fracas de la chute des empires, les refus d'obéir, les solidarités, la soif de justice, l'espoir toujours recommencé, mais aussi les enfermements, les trahisons, les rêves foudroyés, les mots qui ne parviennent plus à dire ce qui est... Les personnages peuplant cette histoire ne sont pas ceux dont les manuels ont retenu le nom, ceux dont les statues attirent les pigeons sur nos places. Manifestant mulhousien de 1912, déserteur de 1917, sportif de 1936, contrebandier espagnol de 1938, boxeur juif de 1941, Gitan belge en exode, môme analphabète indigène, Kanak rejeté, prostituée aveuglée, sidérurgiste bafoué, prolote amnésique, vendeuse de roses meurtrière, réfugié calaisien, ils ne sont rien. Et comme dit la chanson, ils sont tout.
Il y a d'un côté le colosse unijambiste et alcoolique, et tout ce qui va avec : violence conjugale, comportement irrationnel, tragi-comédie du quotidien, un "gros déglingo", dit sa fille, un vrai punk avant l'heure. Il y a de l'autre le lecteur autodidacte de spiritualité orientale, à la sensibilité artistique empêchée, déposant chaque soir un tendre baiser sur le portrait pixelisé de feu son épouse. Mon père, dit sa fille, qu'elle seule semble voir sous les apparences du premier. Il y a enfin une maison, à Carrières-sous-Poissy, et un monde anciennement rural et ouvrier. De cette maison il faut bien faire quelque chose, à la mort de ce père Janus. Capharnaüm invraisemblable, caverne d'Ali-Baba, la maison délabrée devient un réseau infini de signes et de souvenirs pour sa fille, la narratrice, qui décide de trier méthodiquement ses affaires. Et puis, un jour, comme venue du passé et parlant d'outre-tombe, une lettre arrive qui dit toute la vérité sur ce père aimé auquel, malgré la distance sociale, sa fille ressemble tant.