Par une brûlante journée d'été, le narrateur arrive dans une petite ville de Bohême, déserte, avec l'espoir de s'y restaurer, croit-il. Mais avant qu'on le retrouve, trois mois plus tard, de retour, pour découvrir ce qu'il est vraiment venu chercher là, il se sera effacé, passant le relais à une multitude de personnages, aux quatre coins du monde, dans des situations révélatrices de leurs destins, en ces moments particuliers où ils ont pris la décision de changer de vie. Il arrive que, par hasard, l'un ou l'autre revienne, croisant le chemin de celui ou de celle avec qui l'on se trouve. Dans ce vaste roman à tiroirs, les récits s'emboîtent les uns dans les autres, comme des poupées russes, mais il se peut qu'une histoire ait de plus grandes proportions que celle dont elle semble issue. Le narrateur revient parfois, à l'occasion d'un court-circuit, là où le roman retrouve ce " je " de la première personne. Il arrive aussi que le livre accueille des personnages venus d'autres romans ou nouvelles du même auteur, certains lecteurs ayant ainsi la surprise de les retrouver tandis que les autres feront rapidement leur connaissance. Quant à l'auteur lui-même, certains le reconnaîtront ici ou là, malgré les masques de l'anonymat ou du travestissement. Ainsi, d'une certaine façon, ce roman et ses thèmes, avec ses personnages et leurs obsessions, les uns et les autres récurrents, prennent place étrangement plutôt au centre qu'à la suite des précédents ouvrages d'Alain Fleischer, un lieu où tout converge et d'où tout peut être redistribué.
Sade par Fleischer
" Si la vie du Marquis de Sade semble pouvoir donner lieu à une oeuvre cinématographique, c'est sans doute parce qu'elle est suffisamment pittoresque, riche en situations et en événements, dignes d'un film d'aventures et de moeurs, mais surtout parce que, étant celle d'un écrivain qui a imaginé les fictions les plus extrêmes, les plus irreprésentables, cette existence, elle, reste susceptible d'être mise en scène. Le destin de Sade est comme un paysage mouvementé [...] qui [...] conduit au bord d'un rivage, ou d'un gouffre, d'un abîme, où l'horreur indescriptible a trouvé des mots pour être sommairement consignée. Il y a toujours cet au-delà de la vie de Sade que constitue son oeuvre : si l'on décide de ne s'intéresser qu'aux événements vécus, et même lorsque ceux-ci sont exceptionnels, cette réalité ne peut être perçue que comme un en-deçà des fictions littéraires. Sade est comme toujours en deçà de Sade : le débauché, le délinquant sexuel plutôt banal, en deçà de l'auteur dont l'imagination, en direction du pire, reste unique et indépassée. " A. F. Alain Fleischer livre sa lecture brillante de l'un des écrivains français les plus sulfureux. Le cinéaste imagine un scénario de la vie du libertin. Il en avait proposé, il y a des années, le rôle à Marlon Brando qui l'avait accepté ; mais ce projet a connu un autre destin que l'auteur relate en guise de postface. Voici ce scénario présenté sous la forme originale d'un récit dialogué, à la veille de la célébration du 200e anniversaire de la mort du Marquis.
La fascination de Venise par un grand auteur
" Dans cette cabine d'ascenseur, silencieuse et sombre, arrêtée au rez-de-chaussée de l'hôtel Hungaria, sur l'Isola del Lido, à Venise, j'ai le sentiment de flotter encore à la surface d'une histoire, et cet arrêt, cette obscurité sont ceux du bain d'arrêt à la surface duquel flotte une image photographique, apparue mais menacée de disparition, entre révélation et fixation. Une situation s'est dessinée, une image s'est révélée, dont nous sommes les prisonniers responsables, se dit David. Tout s'inverse : si l'ascenseur finissait par s'élever, je m'enfoncerais, avec cette Stella de Prague qui ne s'appelle pas Stella, vers quelque profondeur où m'aurait attendu depuis longtemps la Stella de Buenos Aires, la noyée du Rio de la Plata. N'est-ce pas le propre de Venise de tout inverser, de tout renverser comme au fond d'un sombre miroir ? "
Un grand roman d'anticipation où l'art contemporain est le personnage principal.C'est dans les bras de sa maîtresse, une employée du grand hôtel où il séjourne à Sils-Maria en Suisse, que Simon, jeune pianiste virtuose, apprend le décès de son père, un milliardaire dont il s'est éloigné depuis l'enfance. Simon devient l'héritier de la plus grande collection d'art contemporain au monde, où il ne voit qu'un immense tas de cochonneries, oeuvres d'artistes dont les cotes ont été artificiellement poussées jusqu'à des sommets aberrants. La décision de Simon de liquider la collection par une gigantesque vente aux enchères et sa critique radicale du marché de l'art lui valent une déclaration de guerre de ce dernier, qui voit la menace de son effondrement.
En cette époque proche où l'art contemporain est devenu une bulle spéculative, un secteur financier et bancaire essentiel, où terrorisme et mafias ont partie liée pour recourir à la violence extrême, Simon voit sa carrière de musicien compromise et sa vie privée sujette à un grave dérèglement.
On peut voir dans ce roman " nietzschéen " une fable prophétique où les plus forts triomphent, même si c'est la beauté qui peut sauver le monde.